L’ordonnance sur les loyers est enfin parue… et le gouvernement a accouché d’une petite souris…
Bref rappel : le Président avait annoncé lors de son discours du 16 mars dernier que « les factures d’eau, de gaz ou d’électricité ainsi que les loyers devront être suspendus ». Il avait même été évoqué que 0 € de CA autant que faire devait aboutir à peu ou prou 0€ de charges.
En réalité, l’ordonnance ne prévoit pas un report des loyers (comme pour les échéances de prêts) ou une possibilité de « non-paiement » ou une « suspension » comme cela a pu être évoqué.
L’ordonnance prévoit uniquement que les sanctions applicables en cas de défaut de paiement du loyer et des charges sont interrompues à savoir les intérêts, pénalité, résolution du contrat, expulsion, etc.
Contrairement à ce que beaucoup considèrent, il ne s’agit pas d’un report ! Les loyers restent dus et devront être payés à l’issue du confinement dans leur intégralité. Si rien n’est anticipé l’issue du confinement pourra être fatale puisque les entreprises ne pourront pas assumer le cumul des loyers ainsi « reportés » et cela risque d’entraîner leurs défaillances.
Par ailleurs, seules certaines personnes peuvent bénéficier de ces mesures à savoir celles éligibles au fonds de solidarité (ordonnance 2020-317 du 25 mars 2020) et donc qui remplissent les conditions cumulatives suivantes (décret n°2020-371) :
- personne physique ou morale ayant débutée son activité économique avant le 1er février 2020 et n’ayant pas déposé une déclaration de cessation des paiements au 01/03 (ne sont donc pas concernés les particuliers);
- ne pas être titulaire d’un contrat de travail à temps complet ou d’une pension de vieillesse ou ayant bénéficié d’indemnités journalières de sécurité sociale d’un montant supérieur à 800 euros sur la période
- avoir un effectif inférieur ou égale à 10 salariés;
- avoir un CA HT < 1M€ au dernier ex clos ;
- avoir un bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant au titre du dernier exercice clos < à 60 000 euros ;
- voir son activité subir une interdiction administrative d’accueil du public ou une baisse de CA > à 70% par rapport à n-1 (le ministre de l’économie a annoncé ce jour que le seuil serait finalement de 50%);
- ne pas être une société contrôlée par une société commerciale;
- lorsqu’elle contrôle une ou plusieurs sociétés commerciales, il convient de faire la somme des structures pour vérifier les seuils précédents ;
- ne pas être en difficulté au 31.12 au sens de l’article 2 du règlement de l’UE n°651/2014 c’est-à-dire :
- ne pas être en perte de moitié des capitaux propres
- ne pas être en procédure collective
- ne pas avoir bénéficié d’une aide au sauvetage ou à la restructuration dont le prêt n’est pas remboursé ou être en plan de restructuration
Une précision, l’ordonnance ne distingue pas selon les baux, les baux professionnels peuvent ainsi bénéficier également de la mesure.
Les conditions sont nombreuses et très limitatives. Cela n’est par ailleurs applicables qu’aux loyers et charges dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
Est-il possible d’invoquer la force majeure ? ou l’exception d’inexécution ? De nombreux articles de confrères sont déjà parus sur cette question et personne ne pourra vous assurer à 100% de la réussite en cas d’action contentieuse de la part du Bailleur.
S’agissant de l’exception d’inexécution dans la mesure où le locataire reste bien locataire, cela me semble tiré par les cheveux en effet le bailleur continue d’exécuter son obligation.
Pour la force majeure, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ne l’a pas évoqué et au contraire a prévu un aménagement dans le cadre de l’ordonnance évoquée… Il n’est pas évident qu’elle puisse donc être invoquée.
S’agissant de l’imprévision, cela ne concerne que les baux postérieurs à 2016, or bien souvent la clause est à l’inverse utilisée pour protéger le bailleur et il est prévu une renonciation à l’imprévision par les parties. Par ailleurs, cette clause même si elle était applicable, n’invite qu’à une renégociation du bail avec l’obligation d’en poursuivre les modalités et en cas d’échec de la négociation, les parties peuvent convenir d’une résolution du contrat… Là encore, cela ne permet pas d’arriver à l’objectif envisagé.
Ce n’est donc pas en vertu de cette ordonnance que le locataire bénéficiera d’une suspension ou d’un report.
Il est préférable de négocier avec son bailleur une suspension ou tout du moins un échelonnement postérieur qui prendra effet postérieurement à la période de confinement.